jan 27

Les 20 et 21 janvier 2011, le Sommet de la lecture TD se tenait à la Grande Bibliothèque à Montréal. Présenté comme un libre rassemblement de la société civile, cet événement s’inscrivait dans le cadre du développement d’une stratégie de lecture à travers l’ensemble du Canada.  Après Toronto il y a 14 mois, hôte d’un premier Sommet, c’était au tour de Montréal d’accueillir d’illustres conférenciers et un public galvanisé autour de la nécessaire promotion de la lecture dans notre société. Suivra l’an prochain un troisième et dernier Sommet, à Vancouver, tourné cette fois sur un plan d’action national.

La lecture…Vaste sujet! Je ne l’ai jamais vu autant regardé, abordé, pris d’un angle puis d’un autre, retourné, tourbillonné…Difficile d’en saisir l’essence, peut-être parce que lire fait partie de quelque chose que j’ai intégré au quotidien, et qui me permet, en bonne partie, de penser et de faire. Il est certainement sain d’y prêter attention l’espace d’une journée, histoire de réfléchir un peu à son propre rapport à l’écrit, sans chercher à se soigner pour autant…Mais reste que ce Sommet m’attirait, car le sujet – ou plutôt tout ce qu’il couvre et recouvre du monde – est fascinant…

Ce matin-là, nous étions quelques deux cent personnes à s’être présentés au Sommet : des auteurs, des libraires, des éditeurs, des journalistes, des professeurs, des chercheurs, des fonctionnaires. Écouter des conférenciers nous parler de lecture, c’est très stimulant. Ce qui me parait le plus clair en fin de parcours, c’est la diversité des manières de voir et de parler de la lecture, de l’acte de lire.

Il a été dit que le premier Sommet avait permis de souligner le rapport entre la lecture et la démocratie, et l’importance du premier pour donner de la substance au deuxième. Des sociétés libres sont des sociétés de lecteurs, de penseurs, d’acteurs, nous le comprenons aisément. Jean-François Bouchard en a bien rendu compte : « la lecture est un terreau fertile qui ouvre la porte à la liberté ». Pour le membre du comité directeur de la Campagne sur la lecture, la lecture n’est ni plus ni moins que « le poumon de la vie citoyenne » et « une nécessité de base aussi vitale que l’habitation, l’alimentation et la santé ». Rien de tel pour partir la journée : « il n’y a pas de meilleur chez-soi que le pays des mots et du sens ».

Et Stanley Péan, animateur, de répondre, « le pays qu’il décrit, j’ai envie d’y vivre ».

Alors ce pays où la lecture est vivante, il n’existe pas?

Me reviennent en tête les mots que nous, au sein de la grande équipe des bibliothèques publiques de Montréal, portons dans nos actions, des mots tels que « maturité scolaire », « persévérance scolaire », « francisation », « intégration », « alphabétisation » y compris numérique. Oui, certains défis sont à relever. La dernière étude PISA 2010 menée auprès d’enfants de 15 ans d’un peu partout dans le monde a révélé les bonnes aptitudes des jeunes Québécois et des Canadiens dans une série de domaines. Globalement, le Québec et le Canada restent dans le peloton de tête des pays de l’OCDE. Mais en regardant de plus près l’étude, les élèves québécois ont beau exceller en mathématiques, leur performance en lecture a connu une baisse significative au cours de la dernière décennie. Rien n’est jamais acquis. La lecture se cultive.

La lecture est d’autant plus importante qu’aujourd’hui, il est quasiment impossible de vivre en société sans savoir lire les mots et en saisir le sens. Un mode d’emploi, une ordonnance de médecin, un panneau dans la rue, une facture, une procédure administrative, un texte de loi, un article de journal, ce sont avant tout des mots. L’ère du numérique n’y changera rien. Au contraire, nous aurons toujours besoin de lire pour apprendre, comprendre, partager, et vivre en société. Même si le support de lecture change, le fond reste. Les livres, l’écrit, ne disparaitront pas.

Mais la lecture, cela ne sert pas simplement à devenir un bon citoyen, à être intégré à la société, à relever les défis de société, comme on se prête parfois à dire. Antonine Maillet, auteure et conférencière, a apporté une contribution majeure au Sommet, en revenant à l’essentiel, à notre humanité. Il suffisait juste de tendre l’oreille. Déclic. Antonine Maillet reprend les mots de Marcel Proust, à propos de la littérature : « faire en sorte que chaque instant soit éternisé ». « Chaque écrivain, enchérit-t-elle, va dire ce que personne au monde ne pouvait dire». L’écrivain raconte son âme, le monde vu par sa lunette. De même, « chaque lecteur ajoute sa dimension à ce qu’il lit; il ramène à sa mémoire, à sa sensibilité, à sa philosophie, et enrichit le monde ». Une société de lecteurs, c’est d’abord et avant tout une société humaine. C’est ce que je retiens de l’intervention d’Antonine Maillet, qui s’est présentée sans notes aucune. Il y avait beaucoup d’émotions dans la salle. Nous avons même attendu qu’elle soit revenue à son siège pour arrêter de l’applaudir. C’est aussi cela, un événement.

L’humanité au cœur des livres. L’imagination au cœur de l’humanité. John Ralston Saul, grand essayiste et romancier canadien, nous a partagé sa vision très intéressante de ce qu’est pour lui une bonne éducation: celle qui donne le support à l’imagination. Un individu, au cours de sa vie, aura surtout besoin d’imaginer pour pouvoir ainsi résoudre ses défis, pour pouvoir inventer, pour pouvoir se réinventer.  Saul s’indigne contre un système d’éducation au Canada qui tend à former exclusivement une main d’œuvre. Il s’insurge contre une société qui croit que « la forme est plus importante que le fond », où tout est affaire de gestion, de formation, et non pas d’éducation véritable et de citoyenneté. Pour John Ralston Saul, la lecture est une libération de l’imagination, une déclaration d’indépendance à laquelle accède l’esprit à travers le miroir que constituent les livres. Or, pour un État de gestion, le lecteur représente l’ennemi. Cette allocution n’aura pas manqué de susciter la réflexion, et de ne pas nous faire perdre de vue cette part d’imagination en chacun de nous, et qui fait que l’on peut avancer et changer le monde.

Au cours du Sommet, le dialogue sur la lecture s’est décliné à travers plusieurs thèmes : les bébés et jeunes enfants, les nouveaux arrivants, les communautés autochtones, la lecture et les garçons ainsi que les nouvelles technologies. Je me limiterai à rendre compte des deux premiers thèmes, qui furent abordés le 20 janvier.

D’abord, pour développer une société de lecteurs, il faut développer des bébés lecteurs. C’est le message que nous partage Lucie Dion qui a mis sur pied le programme Une naissance, un livre, répandu à l’échelle du Québec depuis 2001. Ce programme vise à développer le goût et l’habitude de la lecture chez les enfants de moins de un an. On retrouve des programmes similaires dans quelques autres pays. C’est un programme qui permet aussi de faire le lien, très jeune, avec la bibliothèque.

Un regard frais et direct de la découverte des mots et de la lecture chez les enfants nous a été offert par Jacqueline Kerguéno, psychologue et orthophoniste. Celle-ci invite à lire les histoires à la hauteur des yeux des enfants, c’est à dire avec des mots et des images qui les rejoignent. Elle nous rappelle qu’apprendre à lire prend du temps, comme apprendre à marcher! Les enfants explorent d’abord le monde en lisant sur les visages, en observant leur environnement. On retrouve la notion de plaisir dans l’apprentissage. La relation affective au livre et à la lecture se construit et s’installe. Quand le mécanisme est en place, « un enfant va vouloir retourner à la lecture par lui-même ».

Autre thème de la journée : les nouveaux arrivants.  Françoise Armand, professeure titulaire à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, relève que Montréal, comme d’autres grandes villes au Canada, est caractérisée par une grande diversité sur le plan culturel et linguistique. Or, qui dit immigration, dit plurilinguisme et rapport de forces en ce sens que les représentations sur les langues sont déterminantes pour susciter ou non la motivation à apprendre telle ou telle langue. Pour la professeure, il est essentiel que le corps enseignant, notamment, permette de développer chez les jeunes des attitudes positives vis-à-vis de la diversité. L’éveil aux langues, à travers un programme comme Élodil, est un exemple concret d’approche interculturelle et positive de la diversité. On sème en soi les graines pour mieux connaître l’autre et pour développer une ouverture d’esprit ainsi que des comportements de vie dans des sociétés caractérisées par la diversité. Autre programme porteur, cette fois dans les bibliothèques publiques de Montréal : Les mots partagés. Marie Désilets, conseillère à la Direction associée – Bibliothèques en a fait la description. À travers Les mots partagés qu’elle coordonne, on comprend que « l’immigration et l’intégration, c’est d’abord une question de partage ».

Au tour de Body Ngoy de prendre la parole. Cette fois, « la lecture est non seulement un plaisir mais un devoir pour l’intégration à la société d’accueil ». Nous voyons se présenter sur l’écran une liste de documents à lire pour bien s’intégrer à la culture québécoise. À la fois rationnelle et humoristique, cette présentation ne laisse pas indifférente. Ce qui m’a accroché c’est que oui, d’une certaine manière, on apprend un pays en apprenant de son histoire, de sa juridiction et de sa culture, à travers divers documents, et que cette lecture se fait progressivement. Néanmoins, il me semble que l’on ne saisit pas l’essentiel dans les textes, puisqu’il y a aussi les visages, les rencontres et l’environnement! L’expérience d’immigration est certainement unique à chacun, ce qui en fait aussi un enrichissement pour tous. La lecture est certes une avenue dans le parcours de l’intégration, mais cela ne commence et ne s’arrête pas réellement là, surtout quand l’acte d’écrire vient bousculer le monde!

En ce sens, Rodney Saint-Éloi, écrivain et éditeur, a apporté une contribution de plus au Sommet. Est-il un immigrant? Poésie des mots. Références à Arthur Raimbaud, Léopold Sédar Senghor,  Davertige, Marie Uguay,  Pauline Julien. Que nous dit l’écrivain? « Moi je marche et je sais que les roses se multiplient sur mon passage ». L’autre, c’est un peu soi-même. Le dialogue se poursuit.

On aurait bien continué la journée…pour discuter et entendre d’autres s’exprimer, et ainsi poursuivre sur le chemin de la lecture. Chacun a un message à apporter, et peut-être bien une lecture sur la lecture à proposer. Nous pourrions en dire autant de la vie. Chacun peut faire une lecture sur la vie tout autant qu’une contribution pour l’enrichir. Une place pour tous, à chaque jour!

Aude Lecointe


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6 commentaires pour “Un jour au Sommet de la lecture”

  1. Luc Jodoin a dit :

    Merci Aude pour cette belle lecture du Sommet de la lecture.

  2. Tweets that mention Un jour au Sommet de la lecture -- Topsy.com a dit :

    [...] This post was mentioned on Twitter by lioneldujol, ladameauchapal. ladameauchapal said: RT @lioneldujol: [veille] Un jour au Sommet de la lecture http://dlvr.it/FC4Lk [...]

  3. Marie Désilets a dit :

    Beau témoignage!

  4. Magadoux Dorothée a dit :

    Article passionnant sur un évenement qui le paraissait tout autant… Vive la lecture !

  5. LECOINTE Anne a dit :

    J’ai lu ton article,AUDE,avec beaucoup d’interet…..tu me donne envie de lire….encore et encore……mais je n’aurais pas assez d’une vie pour lire tout ce qui s’offre a nous en ce domaine!!!!!merci pour ton témoignage si bien écrit!

  6. LECOINTE Anne a dit :

    article tres interessant et qui donne envie de lire encore et encore!!!!!MERCI AUDE pour cet article si bien écrit qui se termine par une belle réflexion ……