juin - 2016 02

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Les 26 et 27 mai dernier, avait lieu à Montréal la deuxième édition du Rendez-vous des bibliothèques publiques du Québec. Deux jours de conférences, un atelier, des rencontres, des retrouvailles, un conservateur de Paris, un directeur de la Bibliothèque de Los Angeles, et bien plus encore, étaient au programme. Tout cela avec l’idée de faire les pleins feux sur nos bibliothèques.

 

Le thème de ce Rendez-vous était plus large que celui de l’année passée (la littératie sous toutes ses formes), ce qui a permis d’inviter des conférenciers provenant de milieux très variés venus présenter des sujets très différents les uns des autres. Nous sommes ainsi passés du marketing, un mot qui est revenu souvent au cours de ces deux journées, aux Ruches d’art, de l’approche design à l’animation de sa page Facebook, ou encore de l’idée de marque à Wikipédia.

La conférence d’ouverture n’était pas assurée par quelqu’un du milieu des bibliothèques, une tradition, semble-t-il, puisque l’année dernière c’était l’économiste Ianik Marcil qui lançait les festivités, et c’est tant mieux.  Ce fut donc Pierre Balloffet, entre autres professeur agrégé de HEC Montréal, qui ouvrit le bal, et les esprits.

 

Pierre Balloffet était là pour nous parler de marque.  Et de l’artiste chinois Liu Bolin. Marque et bibliothèques ? Voilà un mot qui ne fait pas partie de notre vocabulaire quotidien. Et pourtant. Travailler une marque revient à travailler l’image que nous voulons donner de notre organisation, et cette image est une prise de position dans le monde de surabondance qu’est le nôtre. Elle nous permet d’apparaître. La marque est un outil pour se transformer, tisser du lien, avoir un impact sur la communauté. Elle se construit d’ailleurs avec cette dernière, à un niveau local pour un impact plus fort. Comment ? Pierre Balloffet n’a pas vraiment de réponse à nous donner, plutôt une liste de questions.

Que faisons-nous?

Quel rôle jouons-nous?

Qu’est-ce qu’on attend de nous?

Comment le faisons-nous?

Pourquoi le faisons-nous?

Quelles sont nos valeurs? Notre contribution?

Y répondre permettrait de réfléchir à cette idée de marque et de trouver l’image qui nous correspond, mais ces questions finalement fondamentales permettent tout simplement de nous positionner clairement dans la société.

 

De Nathalie Courville, spécialiste en marketing culturel et évènementiel, nous avons retenu que les partenariats ou commandites peuvent parfois être surprenants et inattendus. Ainsi, le Centre d’art Diane-Dufresne de Repentigny a comme partenaire le salon funéraire voisin, Memoria. Il suffit parfois de regarder de l’autre côté de la rue pour trouver un partenaire.

 

Claude Ayerdi-Martin, bibliothécaire dans le réseau des bibliothèques de la ville de Montréal, nous a parlé de trois projets sur lesquels elle travaille. Partenariats, commandites, collaborations? Tout cela en même temps! D’une façon très concrète et très sincère, Claude Ayerdi-Martin nous rappelle quelques défis des partenariats auxquels nous faisons tous face dans nos institutions. En vrac : ne pas se surestimer, mais surtout, peut-être plus dans nos habitudes, ne pas se sous-estimer. L’aptitude à se renouveler, l’équilibre à trouver dans la croissance de deux organisations qui sont en partenariat, ne pas perdre de vue sa mission et ses objectifs, ne pas accepter tous les partenariats qui semblent excitants et merveilleux, ne pas oublier le temps que l’on investit dans de telles entreprises…

L’exemple du Festival Montréal joue en est un d’envergure et de belle réussite !

 

Un petit saut de l’autre côté de l’Atlantique, et Romain Gaillard, conservateur de la Médiathèque de la Canopée, nous raconte la mise en place pas évidente de ce nouvel équipement culturel au cœur de Paris, et comment il a réussi à inverser l’opinion publique. Aller à la rencontre des riverains et des associations mécontentes, les inviter à visiter des bibliothèques, les écouter et surtout, montrer qu’on les a écoutés en mettant en place certaines de leurs recommandations, créer un blogue permettant de suivre le projet de la médiathèque, développer une culture de la participation et de la capacitation, co-construire la programmation (plus que les collections), recueillir les avis et idées de quatre « focus groupes »… Toutes ces approches ont permis de faire de cette nouvelle bibliothèque un lieu inspiré et inspirant.

 

Un peu moins glamour, mais tout aussi utile, Sophie Loiselle, bibliothécaire à BAnQ, nous a présenté l’outil StatBib, qui donne la possibilité d’obtenir tableaux et statistiques suite à l’enquête annuelle des bibliothèques publiques. Ces statistiques permettent bien évidemment de dresser un portrait de chaque bibliothèque, de la comparer à d’autres, mais plus stratégiquement, les statistiques peuvent servir à évaluer, planifier, et surtout convaincre des élus de se lancer dans un grand projet.

 

Une partie de l’après-midi de cette première journée était consacrée à un atelier pratique sur l’approche-design de la recommandation dans les bibliothèques publiques. L’approche-design ou design thinking, qu’est-ce que c’est? C’est se placer, en tant que designer, du point de vue de l’usager, c’est une approche empathique, sans oublier l’importance de l’expérience esthétique. L’approche design est critique, basée sur l’expérimentation, faillibiliste et récursive.

Séparés en deux groupes, observateurs et participants actifs, les bibliothécaires ont planché sur divers scénarios de recommandation de lecture selon un public d’usagers (bibliothécaire, famille, groupe communautaire, adolescent) et le type de recommandation (expert ou amateur, sur place ou hors les murs).

 

La deuxième journée de ce Rendez-vous commençait fort avec une conférence de John Szabo, directeur de la Bibliothèque publique de Los Angeles (LAPL). Ce qui étonne toujours chez nos voisins du Sud, c’est la démesure, mais surtout la confiance qu’ils ont en ce qu’ils font (le titre de City Librarian ne ressemble-t-il pas à celui d’un super-héros?). Ils n’hésitent pas à dire que leurs bibliothèques sont extraordinaires. Et ils ont raison!

John Szabo nous dit qu’une bibliothèque, c’est la possibilité d’avoir un impact sur la vie des gens, c’est une carte de visite, un visage du gouvernement, que les relations publiques et le marketing sont des investissements pour le futur des bibliothèques. Les bibliothèques sont des moteurs de développement.

Elles sont des centres communautaires, mais pas tout à fait. Elles ne sont pas non plus seulement des espaces. Elles doivent être conscientes de leurs ressources, ne pas oublier leur mission. Ainsi, pendant un mois, la LAPL a mis à l’honneur l’Odyssée d’Homère avec des lectures publiques, des activités et même un site dédié à cette initiative! La campagne d’amnistie des frais de retard en février dernier a pris comme titre LAPL Misses You, une façon forte de montrer que si les citoyens sont attachés à leur bibliothèque, la réciproque est aussi vraie. La bibliothèque est humaine avant tout. Et elle a des sentiments.

Si la proximité d’Hollywood inspire à la LAPL des actions qui en mettent plein la vue, elle n’en oublie pas pour autant ses employés. Elle accorde ainsi de mini subventions (500-1000 $) aux membres de son personnel pour concrétiser une de leurs idées. Ainsi est né le biblio-vélo.

Une des grandes forces de la LAPL est son implication dans des problématiques de société telles la citoyenneté, la santé publique, l’itinérance, démontrant l’impact réel qu’une bibliothèque peut avoir sur la vie de sa cité.

 

Nous avons ensuite arrêté de tourner autour du pot et de faire parler des bibliothécaires de marketing, en demandant à Tina Thomas, directrice marketing, communications et financement de la Bibliothèque publique d’Edmonton (EPL) de nous raconter comment elle a modifié l’image de ses bibliothèques. Tina Thomas a parlé de promouvoir les choses (les documents, les activités) et les gens. En une grande campagne d’harmonisation des messages et du mobilier, elle a décidé d’intéresser les gens à ce qui nous intéresse. EPL n’hésite pas à mettre de l’avant ses usagers, à les prendre en photo, à montrer qu’ils sont le cœur de la bibliothèque. Tina Thomas insiste aussi sur l’importance de la mise en valeur des collections, après celle des usagers. Il faut rendre nos rayonnages, nos expositions faciles d’accès et de choix, montrer les documents. Et si l’on a un petit budget, utilisons ce que nous avons déjà pour faire notre promotion : les cartes et sacs de bibliothèque, le mobilier de la bibliothèque, ses portes, le mobilier urbain. Montrer la présence de la bibliothèque partout dans la cité!

 

Cette présence doit aussi être visible en ligne et c’est ce que Jean-Philippe Titley nous a démontré en nous parlant encore une fois de l’importance de la communauté et de la façon de s’adresser à elle via une page Facebook de bibliothèque. Nous avons compris que nous avons sans doute un peu trop tendance à nous attacher à notre identité institutionnelle. Or Facebook est le royaume de la mise en scène de la personnalité (tiens, nous retrouvons ici l’idée de marque…). Nous devons nous créer une identité personnelle, raconter des histoires, interpeller nos visiteurs virtuels par des questions. Quelques règles à respecter : utiliser les outils de Facebook (créer un évènement par exemple), mettre des images (pas forcément de chatons), répondre rapidement à tout commentaire ou question et publier trois fois par jour (un minimum).

On peut prendre exemple sur la New York Public Library ou, en plus modeste et déjantée, sur la bibliothèque Louise Michel à Paris!

 

L’après-midi de cette deuxième journée a commencé avec une formidable leçon d’advocacy de la part de Stephen Abram, directeur général de la Federation of Ontario Public Libraries. À grand renfort de chiffres, impressionnants et d’une certaine façon, très visuels, Stephen Abram nous rappelle qu’il faut laisser parler nos usagers, qu’ils sont nos meilleurs défenseurs et que pour cela, ils doivent savoir ce qu’on fait. Il faut renverser la perception que les bibliothèques ne sont pas douées ou pas faites pour travailler avec les entreprises, avec les villes. Il faut se faire connaître!

 

C’est également de chiffres que nous parle Elizabeth Glass, directrice de la planification, des politiques et de la gestion de la performance de la Bibliothèque publique de Toronto. Cette dernière a réussi à démontrer l’impact économique des bibliothèques sur la ville de Toronto. À ce qu’elles coûtent à la cité, elle a réussi à opposer ce qu’elles rapportent. Les bibliothèques coûtent de l’argent, mais elles en valent beaucoup plus.

 

Rachel Laperrière, directrice de l’arrondissement de Montréal-Nord, ne pouvait qu’approuver les propos de Stephen Abram. Pour elle, la bibliothèque est une solution, il faut la positionner comme une base du développement des connaissances et de la vie culturelle des citoyens. Et c’est un positionnement qui est avant tout politique car il faut convaincre les élus de changer les choses en les faisant travailler main dans la main avec les bibliothécaires.

 

Collaborer nous disait Rachel Laperrière. Comment? Malorie Flon, conseillère  de l’Institut du Nouveau Monde, nous donne quelques outils. Mais tout d’abord, pourquoi collaborer? Parce que nous vivons dans une société de plus en plus diversifiée et que nous faisons face à des problèmes de plus en plus complexes. Nous pouvons imaginer des collaborations avec tous ceux qui nous entourent, collègues, élus, citoyens. Une bonne collaboration suit des étapes, utilise des outils précis et évite certains pièges. On y retrouve les notions d’impact collectif, de projet pilote, d’itération, de droit à l’erreur et une démarche en U. Cela ne vous rappelle-t-il pas quelque chose?

 

À la suite de la présentation théorique de Malorie Flon, nous avons découvert quatre types de projets collaboratifs qui ont vu le jour dans les bibliothèques du Québec.

REPONSEATOUT.CA est un système de référence virtuelle collaborative qui implique plusieurs bibliothèques québécoises. L’idée est née en 2000 et a tranquillement évolué pour passer des questions posées par clavadarge au formulaire en ligne. Inspirée du projet franco-belge eurêkoi.org, ce sont aujourd’hui seize techniciennes en documentation qui répondent à une à douze questions par jour en quelques minutes ou une journée.

Benoit Rochon, vice-président de Wikimédia Canada, a soutenu l’importance pour les bibliothèques de s’impliquer dans les projets de Wikimédia, notamment GLAM. La BAnQ offre des ateliers intitulés Mardi, c’est Wiki! une fois par mois. Le projet Wikisource permet de mettre en valeur le patrimoine littéraire québécois via la collection de BAnQ. On parle ici de diffusion et de création des savoirs, des domaines où les bibliothèques publiques ont toute leur place.

C’est dans le réseau des Ruches d’art que Rachel Chainey, coordonnatrice, nous a entraîné. Ces ateliers d’art communautaires libres, gratuits et ouverts à tous sont des espaces de partage et d’expérimentation. Nous sommes proches de l’idée de la bibliothèque tiers-lieu, inclusive et porteuse de créativité. Alors à quand une ruche d’art dans une bibliothèque ou un réseau bibliothèques-ruches d’art?

Le Rendez-vous des bibliothèques publiques s’est terminé avec la présentation d’un projet de création de microbibliothèque avec les citoyens, par Cécile Lointier, chef de section à la bibliothèque Père-Ambroise. Un projet entièrement documenté, rassembleur, une ouverture aux initiatives citoyennes, qui a permis d’aller chercher d’autres clientèles et de développer des liens avec des partenaires, à l’interne comme à l’externe. Une carte OpenStreetMap recensant toutes les microbibliothèques de Montréal est également lancée.

Collaboration, participation, ouverture sur le monde et le libre, partenariats, ce projet d’une petite bibliothèque reflète bien les désirs et les forces des bibliothèques publiques dans la société actuelle.

 

Vous retrouverez les présentations des conférenciers sur le site du Rendez-vous des bibliothèques publiques du Québec, juste ici.

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