«… à la même heure, sur les mêmes livres, avec les mêmes règles, quelques centaines de bibliothécaires tirent la même langue. » Armand Lapalus
Tapez RDA dans le moteur de recherche de Messieurs Page et Brin : juste après feu la République Démocratique Allemande mais bien avant le Riding for the Disabled Association au Royaume-Uni, les Ressources : Description et Accès ont «monté» en pertinence régulièrement depuis les dernières années. Cependant dans le domaine relativement stable et conservateur du catalogage et de ses règles, il n’y en a présentement que pour ce nouveau phénomène. RDA est la nouvelle norme de catalogage destinée à remplacer dès 2013 nos bonnes vieilles Règles de Catalogage Anglo-Américaines 2e édition/Anglo-American Cataloguing Rules 2nd ed. (RCAA2/AACR2).
Petite histoire du catalogage
Toutefois, ce RDA est dans l’air depuis de très nombreuses années. Mais reprenons au début, enfin presque. L’année 1967 est mémorable à plus d’un titre : le métro fait ses premiers allers-retours sous la métropole et l’Expo 67 braque les feux du monde entier sur Montréal. Mais dans le domaine des bibliothèques, la parution des AACR (Anglo-American Cataloguing Rules) sous des textes distincts aux États-Unis et en Grande-Bretagne marque une étape importante dans le domaine du catalogage. Ce texte de règles précises est sous tendue par les grands principes du catalogage avec le document «en main» et l’établissement du concept de «source principale d’information».
L’année suivante marque aussi une étape importante pour le catalogage : en effet en 1968 le codage des informations bibliographiques en format MARC (MAchine Readable Cataloging), un format d’encodage et de communication, permettra de transmettre et de recevoir plus facilement les notices en format lisible par machine.
Une 2e édition des AACR en 1978 unifie les 2 publications anglophones et les rend compatibles avec les règles de l’ISBD (International Standard Book Description) utilisées encore aujourd’hui pour consigner les éléments descriptifs fondamentaux selon un ordre précis et une ponctuation définie : bahh … ces catalogueurs avec leurs espaces, leurs points et leurs virgules !! Mais ne négligeons pas les immenses bénéfices d’une normalisation de la présentation des notices bibliographiques.
Bien sûr avant cela, Sir Anthony Panizzi du British Museum (le «Keeper of Printed Books») avait publié en 1841 ses «91 Rules for the Compilation of the Catalogue» qui illustrent une brillante (et controversée) idée à l’époque : plutôt que de constituer un simple inventaire des titres de la bibliothèque du British Museum, faire plutôt un catalogue qui serve de guide pour accéder aux ressources de la bibliothèque en uniformisant les formes d’auteurs et en donnant des accès sujet !! Ensuite M. Charles Ammi Cutter (oui oui … l’inventeur des … chiffres Cutter !!) publie en 1876 ses «Rules for a Printed Dictionary Catalogue». Dans l’introduction de son célèbre texte, Cutter «explains, in some of the most quoted words in library history, what a catalog is for and how it should work.
Objects
1. To enable a person to find a book of which either
(A) the author is known
(B) the title is known
(C) the subject is known
2. To show what a library has
(D) by a given author
(E) on a given subject
(F) in a given kind of literature.
3. To assist in the choice of a book
(G) as to its edition (bibliographically).
(H) as to its character (literary or topical).
Means
1. Author-entry with the necessary references (for A and D).
2. Title-entry or title-reference (for B).
3. Subject-entry, cross-references, and classed subject table (for C and E).
4. Form-entry and language-entry (for F).
5. Giving edition and imprint, with notes when necessary (for G).
6. Notes (for H).»[i]
Ce programme servira de base à toute la théorie du catalogage actuel (avec les AACR) et contient déjà, en germe, les notions «d’objets» et de «relations» à établir entre eux pour mieux satisfaire les besoins des usagers de l’information.
Pour une vision détaillée de ces importantes étapes et leurs rapports avec une notion aussi moderne que les RDA, la lecture de cette [très] intéressante histoire est suggérée de même que ce clair survol.
En 1978, donc, les RCAA2 sont publiées : elles offrent un standard robuste qui pourra aussi s’adapter à la description éventuelle de nouveaux types de documents audio-visuels alias les «non-books» ; elles intègrent les grands principes de catalogage internationaux (Les principes de Paris) et offrent une meilleure cohérence par rapport aux codes précédents.
Toutefois il est important de réaliser que «the heart and soul of the Anglo-American Cataloguing Rules is the book. Books with a title and a statement of responsability clearly displayed on the chief’s source of information : which on the book is the title page. A book will usually have a straight-forward title, a clearly stated statement of responsibility (i.e. an author or two), a familiar publisher, with standard paging, perhaps some illustrations, bibliographic references, etc. This is what AACR was designed to describe and it does it well»[ii]
Ainsi le traitement des «non-books» se fait toujours à travers la lentille des livres. Mais ce ne sont pas des livres! : où est la page de titre et où est le titre ? Sur un DVD, doit-on le chercher sur la jaquette, sur l’étiquette du disque lui-même, sur l’écran puisque le document est essentiellement visuel ?? Sur un CD, le trouve-t-on sur le livret, le dos, l’étiquette ? Et s’il varie d’un endroit à l’autre ?
Il ne faut aussi pas perdre de vue le contexte de l’époque : les petites fiches 3 X 5 sont de mise comme supports des notices bibliographiques, elles sont insérées dans des tiroirs et des meubles qui occupent des murs complets. Ici à la Bibliothèque de Montréal, les techniciennes devaient consacrer une journée semaine simplement pour les classer et on ne parle pas des lourdes conséquences à corriger une simple faute d’orthographe sur une fiche dont on dactylographie des dizaines de copies qu’on doit ensuite remplacer !!
Pendant ce temps, les OPAC proposent leurs premiers affichages à l’Ohio State University (1975) et à la Dallas Public Library (1978) ; on est toutefois loin des interfaces graphiques qui n’apparaîtront que vers le début des années 1990. Les premiers OPAC sont en mode caractère, sur un terminal dédié ou sur Telnet, confinés dans une seule bibliothèque et reproduisent fidèlement les fiches de catalogues qu’elles ont l’intention de remplacer!
Des mises à jour successives en 1988, 1998 et 2002 donnent aux RCAA2 plus d’actualité mais ces mises à jour demeurent «réactives» : elles interviennent après-coup afin de régler les problèmes posés par l’apparition de nouvelles ressources et même de nouvelles réalités. De plus en plus le besoin se fait sentir d’examiner mieux les principes sous-jacents aux Règles, d’évaluer les nouveaux types de média, les ressources numériques et l’évolution des technologies dans l’environnement Web. On se rend bien compte que la division des chapitres des RCAA2 en genres particuliers de documents (chapitre 5 Musique, chapitre 6 Enregistrement sonore, etc.) amène des incohérences dans l’application des règles notamment quand un nouveau type de document présente des caractéristiques propres à plusieurs chapitres. Par exemple, les ressources électroniques à distance qui exigent l’utilisation du chapitre 9 (ressources électroniques) et de n’importe quel des chapitres précédents selon le contenu principal de la ressource : texte, carte, enregistrement sonore ou vidéo, etc.
Ce problème du contenu par rapport au support reste une des grandes faiblesses des RCAA2 ; ainsi RCAA2 propose de décrire comme un «ensemble multi-supports» un document constitué de divers genres de supports sans composante prédominante alors que la Library of Congress ne retient aucunement cette notion en indiquant que le catalogueur doit choisir une composante comme étant prédominante et traiter le(s) autre(s) comme matériel d’accompagnement. Aucune notice américaine (Library of Congress) n’est traitée en notice d’ensemble multi-support («kit») alors qu’au Canada si ; pourtant nous utilisons le même code de catalogage !!
L’absence de cadre théorique comme source de référence lorsque confronté à l’inondation d’information plombe aussi sérieusement le recours aux AACR2 qui présentent des règles claires mais parfois peu adaptables aux nouvelles réalités numériques ou autres.
Il est donc temps semble-t-il de passer et de penser à autre chose car
«Today things are vastly more complicated:
- Cataloging costs money and takes time. Sharing cataloging records will save both, if everyone can agree on how to catalog things the same way.
- Electronic resources (on computers) are hard to catalog and manage, and not always easy to make available.
- Everything comes in many formats, and they’re hard to catalog, manage, and make available, too.
- There’s more of everything.
- Technology is changing how libraries work, what they have in their collections, and what users need and expect.»[iii]
Une meilleure compréhension et vision de l’organisation de l’information est maintenant nécessaire. Dès le début des années 90, l’IFLA (International Federation of Library Associations) publie des documents importants qui influenceront l’avenir des AACR2. En 1991 un groupe d’experts formé par cette fédération est mandaté pour définir, a priori, les «Functional Requirements for Bibliographic Records» (FRBR) ou «Spécifications Fonctionnelles des Notices Bibliographiques» «en prenant en compte les différents supports, les différentes utilisations, et les différents besoins des utilisateurs. L’étude devra balayer la totalité des fonctions assignées à la notice bibliographique dans l’acceptation la plus large du terme, à savoir une notice qui ne se limite pas à des éléments descriptifs, mais qui contient également des éléments d’accès (noms, titres, sujets, etc.), d’autres éléments structurants (classification, etc.) et des notes»[iv]. On veut donc parvenir à une modélisation des informations contenues dans les notices bibliographiques et des relations qu’entretiennent ces informations.
Ce groupe travaille durant 6 ans, fait appel à des experts dans tous les domaines afférents (chercheurs, éditeurs, bibliothécaires, concepteurs de systèmes documentaires, libraires, utilisateurs d’information de toute sorte) et publie en 1998 son rapport final.
Ce modèle est construit selon la méthodologie dite «entité-relation» très utilisée dans la constitution des bases de données relationnelles. Ce modèle compte trois composantes fondamentales:
- entités
- attributs des entités
- relations entre les entités.
Dans la même foulée seront aussi publiées en 2009, les FRAD (Functional Requirements for Authority Data / Fonctionnalités requises des données d’autorité) qui s’appuient sur des principes semblables aux FRBR mais appliquées aux données d’autorité.
Le Joint Steering Committee for Revison on AACR2 (JSC) qui s’occupe depuis plusieurs années déjà des mises à jour ponctuelle des AACR2 (1988, 1998, 2002, 2005) recrute en 2003 M. Tom Delsey, un canadien, comme rédacteur en chef et responsable intellectuel d’une révision de plus grande ampleur des AACR2 afin de passer aux AACR3. Et ce M. Delsey est … le rédacteur principal des FRBR !
Les AACR3 ne verront cependant pas le jour car «un premier projet de texte a été soumis à l’examen des associations professionnelles et des institutions du monde entier en décembre 2004. Ce premier projet a suscité de très vives critiques, qui ont montré qu’une révision encore plus profonde des AACR était attendue. En avril 2005, le JSC a donc annoncé le lancement d’un chantier plus vaste et la préparation d’un code de catalogage entièrement renouvelé qui ne porterait plus le même nom. Les AACR, apparus en 1967, cesseront d’exister sous cette appellation et laisseront la place au nouveau code intitulé : Resource Description and Access (RDA).»[v]
À lui seul, le nom du nouveau code annonce ses couleurs :
- exit le «Anglo-American» : le code se veut international dans sa (ses) langue(s) et sa visée.
- exit le «cataloguing» : la description des ressources est commune à toute la communauté qui s’occupe d’information, pas uniquement les bibliothèques.
- exit les «rules» : les règles rigides font place à des directives basées sur un cadre théorique ayant une plus large applicabilité et centré sur l’utilisateur.
- même le ISBD en prend pour son rhume : en annexe (facultative) seulement des RDA, on trouve les indications sur la présentation des données. L’accent est mis sur l’information requise pour décrire une ressource et non sur la manière de présenter cette ressource.
Mais surtout ce nouveau code a aussi son fondement théorique celui-là même qui faisait cruellement défaut aux AACR et AACR2 ; en l’occurrence il s’agit des «FRBR» publié sept ans auparavant, en 1998 et celui des FRAD quelques années plus tard. Il s’agit là d’une «Radically Different Approach»[vi]
Demain, la 2e partie : Comment fonctionne les RDA.
[i] Denton, William.
FRBR and the history of cataloging. p.40
http://pi.library.yorku.ca/dspace/bitstream/handle/10315/1250/denton-frbr-and-the-history-of-cataloging.pdf?sequence=1
[ii] Knight, Tim. Cataloging rules! The road to RDA. p.2 http://pi.library.yorku.ca/dspace/bitstream/handle/10315/2550/RDA_TALL_2009_final.pdf?sequence=1
[iii] Denton, William. FRBR and the history of cataloging. p.50 http://pi.library.yorku.ca/dspace/bitstream/handle/10315/1250/denton-frbr-and-the-history-of-cataloging.pdf?sequence=1,
[iv] Fédération internationale des associations de bibliothécaires et des bibliothèques. Fonctionnalités requises des notices bibliographiques. p.7. http://www.bnf.fr/documents/frbr_rapport_final.pdf,
[v] Bibliothèque Nationale de France. Ressources : Description et accès (RDA). http://www.bnf.fr/fr/professionnels/rda/s.rda_origines.html
[vi] Oliver, Chris. FRBR et RDA : Progrès dans la description des ressources de divers formats, Mars 2009, p.58. http://www.collectionscanada.gc.ca/obj/005002/f2/005002-2200-f.pdf