août - 2019 19

Cela fait des années que les bibliothèques publiques entendent parler de troisième ou tiers lieu, l’expression du sociologue Ray Oldenburg qui définit l’endroit où l’on se retrouve après la maison et le travail. Le troisième lieu c’est celui du dehors (ou d’un intérieur externe aux deux premiers), celui de la rencontre, de l’échange et de la socialisation donc, mais aussi des découvertes et des apprentissages informels. Les bibliothèques n’ont jamais été nommées dans la liste que propose Oldenburg. Pourtant elles se sont rapidement et avec raison, senties interpellées  par ce concept.

Ainsi, depuis des années, la bibliothèque publique est à la recherche des éléments qui vont en faire le troisième lieu préféré des citoyen-ne-s. En se concentrant sur ses espaces, ses services (parfois hors les murs il est vrai), ses usager-è-s et tout ce qui se passe à l’intérieur de ses murs, la bibliothèque publique a un peu oublié de s’intéresser à ce qui se passe à l’extérieur. Elle a certes, la plupart du temps, pris soin de son environnement extérieur immédiat, mais rarement s’est-elle éloignée de ses murs pour s’observer dans un contexte plus élargi.

Dans le cadre des projets de nouvelles bibliothèques, le tissu urbain dans lequel elles s’implantent est analysé, mais cette analyse vient surtout en appui au choix du lieu, évoquant forces et contraintes. Les relations avec d’autres institutions culturelles ou équipements municipaux sont évoquées, les accès pour y parvenir aussi, les transports en commun, la sécurité des piétons. Il peut être proposé d’élargir le trottoir, d’ajouter un arrêt de bus ou des supports pour vélos. Il peut être mentionné de renforcer des liens entre différents lieux, avec les parcs par exemple, en améliorant la qualité du trajet des piétons et des cyclistes. Ce sont là les voies officielles pour parvenir à la bibliothèque, celles qui ont été tracées et sont entretenues par le service d’urbanisme.

Sonia Lavadinho, anthropologue et géographe urbaine, ne parle pas plus des bibliothèques que Ray Oldenburg, mais elle a élaboré un concept intitulé la deuxième peau des parcs qui s’applique parfaitement aux bibliothèques publiques des villes.

On peut regarder cette vidéo en remplaçant le mot parc par bibliothèque toutes les fois où il est prononcé

La deuxième peau des bibliothèques, c’est ce qui se passe autour d’elles, ce qui mène à elles. Comme les parcs, les bibliothèques sont des endroits qui nous rendent heureux, des lieux différents. Le contact avec les livres et la beauté d’une simple étagère les présentant ont encore ce pouvoir apaisant. La bibliothèque, tout comme le parc, est un refuge dans la ville.

Mais comment est-ce à l’extérieur de la bibliothèque? Est-ce que c’est agréable? Est-ce qu’il s’y passe quelque chose? Qui donne envie de s’arrêter, et peut-être d’entrer dedans.

Comme Sonia Lavadinho le décrit, c’est en créant une épaisseur autour de la bibliothèque que l’on peut induire ces comportements. Il faut que “l’autour” de la bibliothèque, sa première membrane, soit aussi accueillante, invitante, que son intérieur. Il faut que cette membrane devienne habitable.

L’idée du trajet est également très importante dans la deuxième peau. C’est principalement au non utilisateurs-trices que pense l’anthropologue. Ce trajet qui n’est a priori pas à destination du parc ou de la bibliothèque, c’est lui qu’il faut modifier, renforcer. Comment? Sonia Lavadinho propose trois façons de le faire :

  • Offrir la possibilité et le désir de micro séjours, de pauses. Il faut alors imaginer des aménagements, un mobilier urbain qui donne envie de s’arrêter.

  • En renforçant la latéralisation, les opportunités de faire des pas de côté, dit Sonia Lavadinho, invitant la danse dans son concept. Ces pas de côté, ce sont les imprévus, les arrêts qu’on ne pensait pas faire. Ils se concrétisent encore une fois par du mobilier urbain invitant, mais peut-être aussi par une réappropriation de l’espace public, de la rue, du parvis d’une bibliothèque.

  • En renforçant les cordons de sociabilité, les opportunités d’interagir avec d’autres personnes. Il s’agit là d’offrir des lieux provoquant les rencontres naturelles, tout comme dans un parc les parents se retrouvent à discuter entre eux de façon naturelle près des modules de jeux pour enfants.

Finalement cette deuxième peau amène l’idée de constellation, dans laquelle on retrouve les concepts de groupe ou d’ensemble. La bibliothèque ne fonctionne pas de façon autonome, elle est intégrée à un groupe, un ensemble urbain. Sa deuxième peau lui permet de dialoguer avec son environnement et surtout avec celles et ceux qui la traversent et s’y arrêtent.

Tout cela, épaisseur, trajet, latéralisation, constellation, enrichit l’expérience de celles et ceux qui fréquentent la bibliothèque, qui l’utilisent, mais surtout de celles et ceux qui ne l’utilisent pas ou qui n’avaient pas l’intention de la fréquenter, celles et ceux dont on espère que le pas de côté les conduira à l’intérieur.

 

Mot(s)-clé(s) associé(s) à cet article :
juil - 2019 09
Image trouvée ici : https://trisomie.qc.ca/a-propos/accessibilite-universelle/

Image trouvée ici 

Sous ces initiales se cachent, non pas les prénoms de deux amoureux ayant convolé, mais plutôt l’implication et les partenariats des Bibliothèques de Montréal et de l’accessibilité universelle.

L’accessibilité universelle, design universel (design for all) ou conception universelle, qu’est-ce que c’est?

Sous ces expressions se cache un même principe : offrir des aménagements ou des services que toutes et tous, sans distinction d’âge, de sexe, de situation ou de handicap, peuvent utiliser.

Les Nations Unies définissent l’accessibilité universelle ainsi : « la conception de produits, d’équipements, de programmes et de services qui puissent être utilisés par tous, dans toute la mesure du possible, sans nécessiter ni adaptation, ni conception spéciale » ( Article 2 de la Convention internationale des Droits des personnes handicapées).

Ainsi on différenciera l’accessibilité simple ou l’adaptation, par exemple construire une rampe à côté d’un escalier pour permettre aux personnes à mobilité réduite d’accéder à un bâtiment, de l’accessibilité universelle où l’on construirait plutôt une entrée de plain pied que toutes et tous sans distinction peuvent emprunter.

À Montréal, l’organisme Société Logique en donne une explication claire et illustrée avec les sept grands principes du design universel.

Le Code de construction du Québec donne les règlements obligatoires à suivre lors de la conception et la construction d’un bâtiment. La Ville de Montréal possède son propre guide d’Accessibilité universelle des bâtiments municipaux, qui dépasse les exigences minimales du Code de construction. Ces normes orientent les nouvelles constructions ou rénovations importantes des Bibliothèques de Montréal, ainsi que les mises à niveau des constructions déjà existantes, lorsque nécessaire.

L’organisme Kéroul a récemment réalisé une évaluation de l’accessibilité des 45 bibliothèques montréalaises (dans le cadre du Fonds dédié en accessibilité universelle du SDIS)  afin de mieux informer les personnes ayant des limitations quant aux détails de l’accessibilité de leur bibliothèque de quartier.

Les principes de l’accessibilité universelle ne concernent pas uniquement les bâtiments, on doit aussi les retrouver dans les services, les équipements, les collections, la signalisation, les espaces particuliers, ainsi que dans la communication (incluant les sites internet) et la médiation, dans l’optique de faire connaître les bibliothèques et d’accueillir au mieux les personnes en situation de handicap, ou encore dans la sensibilisation des publics aux besoins des personnes ayant une limitation.

Plusieurs organismes et ressources peuvent nous guider lors de l’aménagement d’espaces et de services.

Les Bibliothèques de Montréal ont mis en place diverses activités et partenariats avec des organismes spécialisés en accessibilité universelle et plus particulièrement Altergo.

  • Octobre, mois de l’AU dans les Bibliothèques de Montréal a vu le jour en 2012. L’objectif de ce mois est de sensibiliser le grand public aux différents troubles et déficiences et à augmenter la fréquentation de nos bibliothèques par les personnes ayant des limitations. Une programmation de 75 activités reliées aux 5 sens et à la différence est déployée pendant le mois d’octobre. Les organismes de personnes ayant une limitation en profitent pour mettre plusieurs de ces activités à leur programmation et faire ainsi découvrir le plaisir de fréquenter leur bibliothèque à leurs membres.
  • La grande séduction des Bibliothèques de Montréal en accessibilité universelle est un événement qui vise à faire la promotion des services adaptés mais aussi de l’offre de service plus récente des bibliothèques trop souvent méconnue. Ainsi, les organismes et personnes ayant des limitations sont invités à cet événement et il leur est fait la promotion des services et équipements disponibles : livres en gros caractères, livres audios, jeux adaptés, loupes numériques, logiciel d’agrandissement d’écran. Les collections et équipements moins connus tels que le biblio-courrier, les fablabs, la bibliothèque numérique ou encore les vélos-pupitres sont également présentés aux participants à la grande séduction.
  • Marches exploratoires : plusieurs marcheurs ayant une limitation différente déambulent dans une bibliothèque déterminée afin d’exprimer des recommandations quant à ses services
  • Enfin, chaque automne, une formation est déployée par Altergo auprès du personnel afin que chacun soit mieux outillé pour accueillir les personnes ayant une limitation en fonction de leurs spécificités et ainsi mieux les servir.

Voici également une veille qui s’intéresse aux questions que pose l’accessibilité universelle dans nos institutions, qui propose des façons de changer certaines pratiques, d’améliorer certains lieux ou symboles bien connus :

  • The Accessible Icon Project : le symbole international d’accessibilité universelle (le célèbre personnage assis sur sur un fauteuil roulant en blanc sur fond bleu) a été créé en 1968 et on le doit à Susanne Koefoed. En 2009, les américains Brian Glenney et Sara Hendren commencèrent à réfléchir à un symbole plus vivant après que cette dernière en ait vu un différent au MoMA.
  • bibliotheque-inclusives.fr : un site français qui s’adresse aux professionnels des bibliothèques et leur propose des ressources en liens avec l’accueil pour tous. On parle ici de différents handicaps, mais aussi des personnes éloignées des bibliothèques de par leur statut socio-économique, l’emprisonnement, l’illettrisme.
  • Tactile Studio : rendre l’art accessible à tous, c’est ce que fait Tactile Studio en utilisant les principes du Design for All. Ils conçoivent ainsi maquette, signalétique, reproductions à toucher de sculptures, s’adressant premièrement aux personnes avec un handicap visuel, mais qui interpellent finalement tous les publics.
  • Pictos en bibliothèques : un projet qui a vu le jour en Bretagne (France) suite au désir de “de pouvoir utiliser une signalétique adaptée pour les personnes en situation de handicap, notamment pour les personnes en situation de handicap intellectuel, et plus largement pour toutes les personnes en difficulté avec la lecture.” Les pictogrammes issus de ce travail sont accessibles pour les bibliothèques du monde entier, avec ou sans texte.
  • Fablab et handicap : si cette ressources ne s’adresse pas directement aux bibliothèques, elle intéressera tout de même toutes celles qui ont développé un lab dans leur bâtiment. Ce guide aborde entre autres l’empowerment et l’autonomie que les fab labs peuvent générer pour les personnes en situation de handicap, ou bien encore comment ils peuvent participer à changer le regard qui est porté sur eux, ainsi qu’à briser leur isolement.
  • Signes de bibliothèque : ressource française en LSF (langue des signes française), donc différente de la LSQ (langue des signes québécoise), qui en 64 diapositives issues d’un partenariat entre une médiathèque et les élèves sourds d’un lycée français, offre tous les mots et expressions utilisés en bibliothèque : conte, remboursement, science-fiction, réservation, etc. À quand la même chose en LSQ?
Mot(s)-clé(s) associé(s) à cet article :
juin - 2019 05
Le grand escalier face au boisé.

Le grand escalier face au boisé.

Jeudi 23 mai, la nouvelle bibliothèque de Pierrefonds, agrandie et embellie, ouvrait ses portes au public. Celui-ci était au rendez-vous, foulant le tapis rouge, impatient, puis saisi  d’admiration devant le nouveau bâtiment signé par la firme Chevalier Morales Architectes.

Fidèles à leur esthétique, le bâtiment est tout en blanc et en vitres. Les visiteurs pénètrent dans un grand hall où les attendent le café d’un côté et le comptoir d’information de l’autre. Les architectes n’ont pas été avares de volumes ; pour preuve, on retrouve, accroché au plafond un anneau qui permet d’accueillir des prestations de cirque. La nouvelle bibliothèque s’anime en rendant la totalité des espaces accessibles et vivants.

Le café est grand, de nombreuses tables et chaises y attendent les visiteurs. À la belle saison, ce mobilier envahit la terrasse extérieure et la cour intérieure qui marque le centre du bâtiment.

Derrière le café, un peu en retrait, se trouve le fab lab. Imprimantes 3D, découpe laser, LEGO Mindstorm y côtoient  d’autres outils électroniques.

Dans son prolongement, ce sont les modules du réseau d’échange, ou “placotteuses”, ces sortes de cocons où l’on s’assoit à deux, face à face, pour discuter, lire, travailler, créant ainsi un espace intime dans l’espace ouvert de la bibliothèque. Un peu plus loin, la salle multifonctionnelle permet de présenter des spectacles, des films, des concerts.

Face à l’escalier monumental  en X, les “pop up shops” présentent la collection audiovisuelle adulte, incluant plusieurs dizaines de vinyles.

Au rez-de-chaussée, les enfants sont à l’honneur, des tout-petits jusqu’à ceux qui frôlent l’adolescence. Les attendent fauteuils, coussins, jouets, tables sérieuses, et bien évidemment une collection très étoffée. Les documentaires y ont été regroupés en grandes thématiques, une organisation que l’on retrouve également dans la collection adulte. Ces thématiques s’inscrivent sur le bout des rayonnages, en couleur cette fois. Dans cet espace ludique autant que de lecture, on trouve au sol les prémices d’un jeu de l’oie grandeur nature qui nous invite au jeu. Une salle d’animation permet d’accueillir des groupes scolaires et d’offrir des activités aux familles. Un escalier en bois à la fois gradin et agora, de format presque miniature annonce celui majestueux qui nous permet de passer à l’étage des adultes.

Ces marches font face à un boisé qui fait croire au visiteur assis qu’il n’est plus tout à fait à l’intérieur de la bibliothèque, mais pas tout à fait dehors. On retrouve cette idée du passage, de la transparence, entre l’extérieur et l’intérieur, comme dans la petite cour du rez-de-chaussée. Le tableau qui s’offre au visiteur changera avec les saisons, apportant dans la bibliothèque la couleur qui s’y fait discrète ou l’hiver, confirmant la blancheur apaisante de la neige.

L’étage est dédié aux adultes, immense, et l’on s’y perdrait presque en déambulant au milieu des rayonnages. La collection de documents est vaste. Romans, documentaires, bandes dessinées, sont offerts en anglais et en français, respectant ainsi le statut unique d’arrondissement bilingue à Montréal.

Deux salles de travail de groupe, une autre consacrée au travail individuel silencieux et une salle de formation sont des espaces studieux qui s’offrent aux visiteurs, ainsi qu’aux employés de la bibliothèque. La salle de généalogie et le salon des périodiques appellent au  calme et à la sérénité, valeurs toujours présentes au sein des bibliothèques troisième lieu.

En se rendant dans l’espace ado, le visiteur passe devant un mur vert, extension du fab lab en médialab, fait pour la vidéo et les effets spéciaux.

Après la salle dédiée aux  jeux vidéo ou de société ou aux murs vitrés, l’espace ado s’offre dans un prolongement créant ainsi une rupture avec le reste de l’espace des adulte. Une petite scène est là, appelant à des représentations spontanées ou plus organisées. D’étranges dômes suspendus, comme des casques audio surdimensionnés, offrent la possibilité d’écouter de la musique en y connectant son téléphone.

Le dernier espace à explorer est la terrasse sur le toit. Spacieuse et équipée de mobilier invitant à y rester, elle offre un regard plongeant sur la petite cour intérieure et le hall de la bibliothèque.

La bibliothèque de Pierrefonds s’inscrit dans cette nouvelle esthétique où ce sont les documents et les visiteurs qui apportent mouvements et couleurs. Les différents espaces s’articulent de manière logique. Les activités vivantes et le bruit au centre et au rez-de-chaussée, les zones calmes et silencieuses dans les profondeurs du bâtiments.

L’impression qui s’en dégage est celle d’une bibliothèque qui répond aux besoins de tous ses usagers, leur offrant de multiples façons de s’asseoir, lire, travailler, déambuler, créer, et finalement, le sentiment de faire partie d’une communauté.

Toutes les photos sont de Lëa-Kim Châteauneuf, CC BY-SA 4.0

juin - 2017 13

Spéciale rumeurs et fausses nouvelles!

Trouvé ici.

Trouvé ici.

On en a beaucoup parlé l’automne et le printemps dernier. Nous suivions des élections présidentielles rocambolesques chez nos voisins du Sud et ceux de l’autre côté de l’Atlantique. La lutte politique se jouait aussi en ligne et les fausses informations ne manquaient pas, d’un côté comme de l’autre.

Avec la masse d’informations créées et diffusées chaque minute sur Internet, il n’est que trop facile d’en glisser de fausses, mensongères ou manipulatrices dans le lot.

Quand on sait que Facebook est le réseau social numéro un des Québécois pour accéder à l’information (source : Cefrio), réseau social sur lequel aussi bien Radio-Canada que nos voisins font des publications, il devient primordial de savoir repérer les fausses informations.

Nous avons donc regroupé pour vous outiller quelques articles (fiables!) récents, publiés par des médias et acteurs du numérique connus et reconnus.

Il existe d’autres outils pour repérer et déjouer les fausses nouvelles et la désinformation (comme hoaxbuster). En connaître un, vous amènera certainement à en découvrir d’autres. Ils peuvent servir de base à des ateliers ou activités en bibliothèques, pour tous types de publics. À vous de les informer sur la désinformation!

mai - 2017 04

Voici l’histoire d’un petit fab lab, petit par la taille, mais grand par sa place dans l’histoire des fab labs en bibliothèque au Québec. En effet, Benny Fab est le premier fab lab à avoir vu le jour dans une bibliothèque publique de la province.

Sur la porte du fab lab. Le ton est donné!

Sur la porte du fab lab. Le ton est donné!

On pourrait presque raconter que Benny Fab est un accident, mais c’est plutôt une heureuse surprise.

Dans le projet de la nouvelle bibliothèque Benny, commencé en 2008, il n’était pas vraiment question de fab lab. Le mot n’avait même pas encore atteint le milieu professionnel à Montréal. À quelques mois de l’ouverture, en 2015, il est pourtant apparu inconcevable que la nouvelle bibliothèque n’offre pas un espace de création numérique à ses usagers.

Un emplacement est trouvé et le petit fab lab s’installe doucement dans cet espace d’une dizaine de mètres carrés. Les débuts sont un peu hésitants, mais aujourd’hui une équipe de deux personnes lui est dédiée, un bibliothécaire, Marc Lemaire, et un animateur spécialisé, Thomas Poulin. À eux deux, ils s’occupent du matériel, des activités, d’accueillir les usagers du fab lab pour leurs projets personnels, ou simplement pour répondre aux questions des curieux. Deux autres employés les aident ponctuellement, Yuan Gao, animatrice spécialisée et Laurence Sabourin aide-bibliothécaire.

On retrouve dans ce mini fab lab trois imprimantes 3D, une découpe vinyle, plusieurs ordinateurs, des LEGO WeDo et Mindstorm (robotique), des Arduino, Littlebits, Makey makey, des appareils photo reflex Canon, un coffre à outils avec tout le matériel du parfait petit bricoleur. Et bien évidemment, la Charte des fab labs.

Quatre clubs ont été créés : électronique, robotique, jeux vidéo, modélisation et impression 3D. Ils se réunissent une fois par mois et compte chacun une douzaine de jeunes. Le lieu ne pouvant de toute évidence pas accueillir un plus grand nombre de participants, Benny Fab déborde de ses murs et investit la salle de formation et l’espace ado voisin.

Benny Fab a été lancé sans une grande planification et avec un budget restreint. Et c’est pourtant un immense succès. Il a très vite été envahi par les usagers.

On y croise monsieur Thibault, 71 ans, qui vient toutes les semaines. Il a découvert le fab lab en passant devant lorsqu’il se promenait dans la bibliothèque. Il fabrique un simulateur de vol et certaines pièces sont introuvables dans le commerce. Il s’est mis à la modélisation 3D pour les créer et les imprime à Benny Fab.

Kyan, Geneviève Lamarche, tous deux utilisateurs de Benny Fab, et Marc Lemaire, bibliothécaire-coordonnateur du fab lab.

Kyan, Geneviève Lamarche, tous deux utilisateurs de Benny Fab, et Marc Lemaire, bibliothécaire-coordonnateur du fab lab.

Geneviève, elle aussi vient depuis la première journée. C’est son fils, Kyan, 6 ans, qui voulait entrer dans le fab lab. Il joue aux LEGO WeDo ou Mindstorm. Elle, elle a découvert un monde et créé le lien avec ses études. « J’ai besoin d’une place comme ça pour mon travail à l’école ». Elle étudie en restauration au Collège LaSalle et s’intéresse à la nourriture pour les enfants, mise en forme style super héros. « Des emporte-pièce en forme d’éclair ou de chauve-souris de Batman, ça n’existe pas! Alors je les imprime ».

Geneviève veut appliquer la technologie à l’alimentation. Elle veut créer un fab food lab pour les enfants : Super Hero Food for Kids!

Elle a d’ailleurs été lauréate des Grands prix de la relève en restauration, tourisme et hôtellerie de l’AQFORTH (Association québécoise de la formation en restauration, tourisme et hôtellerie) et a participé au rendez-vous Maker to Entrepreneurs, une communauté dont les membres se rencontrent régulièrement pour partager leurs projets.

Benny Fab, c’est « open collaboration ! », dit Geneviève.

Un projet a aussi émergé avec la rencontre d’une personne malvoyante. Originaire du Japon, celle-ci possède une canne japonaise avec un embout particulier pour l’aider dans ses déplacements. Cet embout n’existe pas sur la canne qui lui est fournie par le gouvernement du Québec. C’est donc une équipe issue de Benny Fab qui travaillera sur ce petit bout de plastique si important qu’il sera « comme une nouvelle paire d’yeux » pour cette personne.

Benny Fab dans la salle de formation de la bibliothèque.

Benny Fab dans la salle de formation de la bibliothèque.

En marge de ces passionnés et de leur projet au long cours, on croise des ribambelles de jeunes garçons, dont l’âge tourne autour de 10 ans. Ils entrent dans le fab lab comme dans leur chambre, empruntent un ordinateur, un iPad, des LEGO Mindstorm. On les suit dans la salle de formation où ils modélisent dans le bruit, le partage et la bonne humeur, les idées qu’ils ont en tête. Lorsque la modélisation est trop complexe pour être imprimée, Thomas leur propose de la transférer dans Unity, un outil de création de jeu vidéo. Ne reste plus qu’à promener un personnage dans cet univers unique et créé en quelques instants.

Benny Fab c’est tout ça. Des machines bien évidemment, mais qui ne sont que la pointe émergée d’un iceberg de relations humaines.

Pour suivre leurs créations, le compte Thingiverse de Benny Fab : http://www.thingiverse.com/Fab_Lab_Benny/about

Pour les joindre : fablabbenny@gmail.com

Modélisation 3D sur Tinkercad, mangas et BD : un fab lab en bibliothèque!

Modélisation 3D sur Tinkercad, mangas et BD : un fab lab en bibliothèque!

Images : Gaëlle Bergougnoux, licence : CC BY-NC-SA 2.5 CA

Mot(s)-clé(s) associé(s) à cet article :
avr - 2017 09

6175154545_79fc17d7e8_z

 nate bolt via Flickr (CC BY-NC 2.0)

Chaque semaine, des professionnel.le.s des bibliothèques de Montréal se réunissent de façon informelle avec leurs collègues pour échanger puis partager leurs trouvailles et leurs découvertes inspirantes. Tous les sujets touchant de près ou de loin les bibliothèques, les bibliothécaires et la culture sont abordés. Nous allons publier les résultats de cette veille collaborative chaque semaine pour en faire profiter un public plus large. Bienvenue à tou.te.s !

N’hésitez pas non plus à partager vos propres découvertes avec nous et vos collègues. Bonne lecture !
  • Amendes et frais en bibliothèques : Un survol des  différents frais payés en bibliothèques aux État-Unis et une réflexion sur leur élimination ou remplacement. (Jean-Philippe Décarie)
  • Lancer son Repair café : Guide complet : Un guide pratique pour créer un événement de type « repair café ». Contexte suisse donc les budgets, les liens et organismes à contacter le sont aussi, mais c’est un outil intéressant pour se lancer. (Gaëlle Bergougnoux)
nov - 2016 23

Commencé il y a quelques mois puis mis de côté, le sujet de cet article a regagné toute sa pertinence et son intérêt en regard de l’actualité québécoise récente.

Fin octobre, nous apprenions que le téléphone de Patrick Lagacé, un des chroniqueurs star de La Presse, avait été mis sur écoute par le Service de Police de la ville de Montréal. Plusieurs journalistes auraient subi la même intrusion dans leur travail et leur vie privée.

Le 2 novembre dernier, Edward Snowden, le lanceur d’alerte américain le plus connu, donnait une vidéo-conférence à l’Université McGill. Il est revenu entre autres sur l’affaire Lagacé et sur l’importance de protéger sa vie privée numérique.

 

Il existe de multiples façons d’être un bibliothécaire engagé, et par le passé, de nombreuses figures de cette profession se sont illustrées (pensons par exemple à Éva Circé-Côté) dans la lutte pour l’éducation, l’accès à l’information pour tous. En ce sens, le métier de bibliothécaire n’a pas tellement changé. Bien que datant de 1994, la version actuelle du Manifeste de l’UNESCO sur la bibliothèque publique est encore abondamment citée. Et pour cause. Dans un monde où la production de l’information se multiplie à une vitesse qui n’a presque plus rien d’humain, dans un univers numérique omniprésent et où la fameuse fracture ne disparaît pas tant que ça (entre accès aux technologies et véritable compréhension de celles-ci), il est bon de rappeler que les missions de la bibliothèque publique, qui s’incarnaient dans le monde physique, doivent aussi se retrouver dans notre monde numérique :

  • soutenir à la fois l’auto-formation ainsi que l’enseignement conventionnel à tous les niveaux
  • assurer l’accès des citoyens aux informations de toutes catégories issues des collectivités locales
  • faciliter le développement des compétences de base pour utiliser l’information et l’informatique ;

Mais c’est surtout dans le premier paragraphe du Manifeste que l’on retrouve en filigrane les défis que vivent les bibliothèques et les bibliothécaires d’aujourd’hui :

La liberté, la prospérité et le développement de la société et des individus sont des valeurs humaines fondamentales. Elles ne peuvent s’acquérir que dans la mesure où les citoyens sont en possession des informations qui leur permettent d’exercer leurs droits démocratiques et de jouer un rôle actif dans la société. Une participation créatrice et le développement de la démocratie dépendent aussi bien d’une éducation satisfaisante que d’un accès libre et illimité à la connaissance, la pensée, la culture et l’information.

 

Et parmi ce flot d’informations, il y a toutes celles que nous produisons, en écrivant des courriels, en naviguant sur des sites, en nous identifiant, en marchant, en jouant, en cliquant sur J’aime. Des informations qui a priori nous appartiennent, sont privées, et qui sont pourtant collectées, analysées et revendues. Non, nous ne sommes pas tous surveillés par la NSA, mais la liberté et le respect de notre vie privée que nous exigeons et qui nous semble absolument normal dans le monde physique, ne se retrouvent pourtant pas tout à fait dans l’univers numérique.

 

Quelques petits rappels de la loi au Québec :

Charte des droits et libertés de la personne :

  • Toute personne a droit au respect de sa vie privée. (article 5)

Code civil du Québec :

  • Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée. (article 35)
  • Peuvent être notamment considérés comme des atteintes à la vie privée d’une personne les actes suivants:
    • 1°  Pénétrer chez elle ou y prendre quoi que ce soit;
    • 2°  Intercepter ou utiliser volontairement une communication privée;
    • 3°  Capter ou utiliser son image ou sa voix lorsqu’elle se trouve dans des lieux privés;
    • 4°  Surveiller sa vie privée par quelque moyen que ce soit;
    • 5°  Utiliser son nom, son image, sa ressemblance ou sa voix à toute autre fin que l’information légitime du public;
    • 6°  Utiliser sa correspondance, ses manuscrits ou ses autres documents personnels. (article 36)

Ces deux documents officiels et constitutifs de notre société sont très clairs : le respect de la vie privée est un des droits fondamentaux des québécois, des humains.

 

Alors, sans tomber dans la paranoïa, que peut-on faire?

Je crois sincèrement que les bibliothèques publiques ont un rôle important, pour ne pas dire primordial, à jouer dans le domaine de la littératie numérique (rendre chaque citoyen actif, créatif et critique face au numérique). Cet accompagnement que les bibliothèques peuvent faire se joue sur différents points. L’un deux est la sensibilisation des citoyens aux concepts de vie privée et protection des données sur Internet. Il s’agit également de leur donner des outils pour protéger les informations qu’ils produisent.

Une des premières étapes sera peut-être de devoir répondre au scepticisme des usagers (ou de vos collègues). Vous trouverez réponses et arguments aux classiques « Je n’ai rien à cacher », « Je/Ma vie n’intéresse personne », « Ce n’est pas grave que l’on sache ce que j’ai mangé au déjeuner », et autres sur ces deux sites :

 

Et Edward Snowden le rappelait à McGill « Le droit à la vie privée, c’est le droit d’être soi-même »[1].

 

Il existe différents moyens de protéger votre vie privée sur Internet, principalement en utilisant les bons outils, navigateurs et autres produits issus du monde du libre.

Parlons moteurs de recherche. Qui n’utilise pas Google?  Et pourtant il en existe d’autres tout aussi efficaces (ou presque, soyons tout de même honnêtes) et bien plus respectueux de la vie privée. En haut de la liste : DuckDuckGo et Qwant (Qwant possède même une version pour les plus jeunes : Qwant Junior, qui propose une interface adaptée et filtre pour éliminer le plus possible les contenus non appropriés). Qwant a d’ailleurs passé un accord avec Mozilla cet été pour que le moteur de recherche soit disponible sur Firefox de façon intégrée.

Quelques liens à suivre, des pages à lire pour comprendre le monde numérique dans lequel nous évoluons aujourd’hui :

  • Protection de la vie privée en ligne et sur les réseaux sans fil : un site du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada qui a pour mission de protéger et de promouvoir le droit à la vie privée. On y trouve beaucoup d’informations sur la loi canadienne et des conseils concernant une foule d’aspects reliés à la vie privée, et plus particulièrement sur le numérique ici.
  • Dégooglisez votre entourage en quelques tutos-vidéos ! : Framasoft est un réseau d’éducation populaire, issu du monde éducatif, consacré principalement au logiciel libre. Un de leur projets phares s’intitule Dégooglisons Internet. Framasoft propose donc toutes sortes d’alternatives aux logiciels, programmes, sites que nous utilisons et qui ne sont pas respectueux de notre vie privée.
  • Library Freedom Project: ce projet américain est celui d’un partenariat entre bibliothécaires, avocats, informaticiens et défenseurs de la vie privée. Leur but est de sensibiliser à la surveillance et d’outiller les bibliothécaires pour y faire face, et par-delà les usagers des bibliothèques. L’organisme participe également à The Tor Project et propose un kit pour les bibliothèques qui souhaitent devenir des relais Tor.
  • 5 étapes pour commencer à protéger la vie privée des usagers : Thomas Fourmeux, assistant multimédia en bibliothèque et fortement engagé dans la défense des libertés numériques (suivre son blogue : http://biblionumericus.fr/), a repris des outils proposés par Alison Macrina du Library Freedom Project dans un article récent du Library Journal. Dans son dernier article, il propose d’autres trucs à appliquer dans notre vie personnelle et pourquoi pas, professionnelle aussi.
  • Compte-rendu du café vie privée du 18 juin : compte-rendu d’une rencontre de bibliothécaires parisiens et d’usagers autour de la protection de la vie privée en ligne. Présentation du formateur disponible et très intéressante.
  • Internet Citizen: blogue de Mozilla qui prodigue des conseils (en anglais) pour comprendre et protéger sa vie privée sur Internet.

Au Québec :

  • Crypto Québec : média numérique indépendant dont les sujets et les champs d’action tournent autour des enjeux de sécurité informatique, géopolitique, vie privée, technologie de l’information et renseignement.
  • SQIL : la Semaine québécoise de l’informatique libre. Évènement annuel autour de la culture du libre (logiciel, matériel, savoir) et des communs numériques. Organisée par FACIL.

 

Et n’oubliez pas : sur Internet, si c’est gratuit, c’est vous le produit.

Mot(s)-clé(s) associé(s) à cet article :
juin - 2016 21
Affiche-petit-format-06

Trouvé ici. CC BY-NC-ND 4.0

  • Future bibliothèque de Caen (France). Une nouvelle bibliothèque de presque 5000 m2 et 582 000 documents, et avec comme objectif d’atteindre 1 000 000 de documents. On est loin, très loin de la bibliothèque tiers lieu, où l’espace prime sur la collection. À suivre.
  • FabLabs, tiers-lieux, hackerspaces, makerspaces, espaces de coworking… Comment s’y retrouver? Ces termes commencent à nous être familiers, mais voici une typologie qui permettra de les différencier, de savoir de quoi on parle exactement. Et puis, « ces espaces s’inscrivent dans une même démarche : favoriser la rencontre et l’échange entre personnes, intérêts et compétences, qui n’ont pas forcément vocation à se croiser. De ce point de vue, ces lieux participent à  renforcer la cohésion sociale. » N’est-on pas en train de parler de la bibliothèque publique?
  • Poker créatif des bibliothèques. Un jeu de l’Institut des Futurs souhaitables qu’un groupe de bibliothécaires et autres curieux de l’innovation a adapté au monde des bibliothèques. C’est un jeu de carte dont le but est de favoriser la créativité en équipe en associant objets et adjectifs. Simple, matériel libre disponible gratuitement ici, durée du jeu variable (courte ou longue), un mini biblioremix facile à mettre en place. N’hésitez pas à le tester en bibliothèque avec vos équipes. Et racontez-nous!
  • À l’autre bout de la planète, on discute aussi bibliothèques au Southern African Online Information Meeting 2016. On y parle de ce qui définit les bibliothèques, de leurs objectifs et de comment y parvenir (en faisant certaines choses, mais peut-être en arrêtant d’en faire d’autres?), de ne plus nous identifier à une collection, mais plutôt à un espace (tout en en sortant!), et que les bibliothèques sont des « engines of hope and kindness ».
juin - 2016 13
post-it-notes

Giorgio Montersino via Flickr - CC BY-SA

1. L’ABF réussit à valoriser l’innovation à son congrès 2016. Un rapide compte-rendu des trois jours du Congrès de l’Association des Bibliothécaires de France des 9-10-11 juin derniers sur le thème de l’innovation. Une innovation vue d’un point de vue social, technologique et territorial sur fond de débat sur les horaires élargies des bibliothèques. Une participante convertie : « Je crois de toute façon que lorsqu’on commence à casser les codes, on devient accro à ça, l’innovation, c’est addictif. »

2. Comment développer une culture de l’innovation dans les bibliothèques ? La présentation de Silvère Mercier, sur son blogue Bibliobsession, faite au congrès de l’ABF la semaine dernière. Où l’on parle de formation, de médiation numérique (et non de médiation du numérique), de l’importance de forger une culture numérique commune et de la veille, où « l’innovation existe là où la prise de décision est décentralisée ».

3. Bibliothèques : pourquoi jeu vidéo et FabLab ne sont pas qu’un “coup de jeune”. Retour sur les ateliers techno proposés aux participants du Congrès de l’ABF. Discussion croisée entre plusieurs professionnels des bibliothèques. Où l’on parle d’éducation à la citoyenneté numérique, de « ne pas laisser la technique aux techniciens », du numérique comme nouvel outil et des « technologies qui favorisent le vivre-ensemble, déjà au cœur de la bibliothèque ».

4. Une imprimante 3D en médiathèque : Pour quoi faire ? Quelques arguments pour faire entrer l’impression 3D dans la bibliothèque et des exemples concrets de ce que l’on peut faire avec.

5. Tuto des makers #11: fabriquez votre casque de réalité virtuelle. Un tutoriel vidéo de moins de deux minutes pour fabriquer son propre casque de réalité virtuelle (beaucoup moins cher qu’un Oculus Rift!). Au programme : du carton, des lentilles, du velcro, des aimants, une règle, des ciseaux et un peu de pliage et d’astuce.

6. 60 secondes pour comprendre la réalité virtuelle. Un petit film d’animation expliquant la réalité virtuelle et ses applications. Et pour ne pas les confondre : 60 secondes pour comprendre la réalité augmentée.

Mot(s)-clé(s) associé(s) à cet article :
juin - 2016 02

image_RVBP

Les 26 et 27 mai dernier, avait lieu à Montréal la deuxième édition du Rendez-vous des bibliothèques publiques du Québec. Deux jours de conférences, un atelier, des rencontres, des retrouvailles, un conservateur de Paris, un directeur de la Bibliothèque de Los Angeles, et bien plus encore, étaient au programme. Tout cela avec l’idée de faire les pleins feux sur nos bibliothèques.

 

Le thème de ce Rendez-vous était plus large que celui de l’année passée (la littératie sous toutes ses formes), ce qui a permis d’inviter des conférenciers provenant de milieux très variés venus présenter des sujets très différents les uns des autres. Nous sommes ainsi passés du marketing, un mot qui est revenu souvent au cours de ces deux journées, aux Ruches d’art, de l’approche design à l’animation de sa page Facebook, ou encore de l’idée de marque à Wikipédia.

La conférence d’ouverture n’était pas assurée par quelqu’un du milieu des bibliothèques, une tradition, semble-t-il, puisque l’année dernière c’était l’économiste Ianik Marcil qui lançait les festivités, et c’est tant mieux.  Ce fut donc Pierre Balloffet, entre autres professeur agrégé de HEC Montréal, qui ouvrit le bal, et les esprits.

 

Pierre Balloffet était là pour nous parler de marque.  Et de l’artiste chinois Liu Bolin. Marque et bibliothèques ? Voilà un mot qui ne fait pas partie de notre vocabulaire quotidien. Et pourtant. Travailler une marque revient à travailler l’image que nous voulons donner de notre organisation, et cette image est une prise de position dans le monde de surabondance qu’est le nôtre. Elle nous permet d’apparaître. La marque est un outil pour se transformer, tisser du lien, avoir un impact sur la communauté. Elle se construit d’ailleurs avec cette dernière, à un niveau local pour un impact plus fort. Comment ? Pierre Balloffet n’a pas vraiment de réponse à nous donner, plutôt une liste de questions.

Que faisons-nous?

Quel rôle jouons-nous?

Qu’est-ce qu’on attend de nous?

Comment le faisons-nous?

Pourquoi le faisons-nous?

Quelles sont nos valeurs? Notre contribution?

Y répondre permettrait de réfléchir à cette idée de marque et de trouver l’image qui nous correspond, mais ces questions finalement fondamentales permettent tout simplement de nous positionner clairement dans la société.

 

De Nathalie Courville, spécialiste en marketing culturel et évènementiel, nous avons retenu que les partenariats ou commandites peuvent parfois être surprenants et inattendus. Ainsi, le Centre d’art Diane-Dufresne de Repentigny a comme partenaire le salon funéraire voisin, Memoria. Il suffit parfois de regarder de l’autre côté de la rue pour trouver un partenaire.

 

Claude Ayerdi-Martin, bibliothécaire dans le réseau des bibliothèques de la ville de Montréal, nous a parlé de trois projets sur lesquels elle travaille. Partenariats, commandites, collaborations? Tout cela en même temps! D’une façon très concrète et très sincère, Claude Ayerdi-Martin nous rappelle quelques défis des partenariats auxquels nous faisons tous face dans nos institutions. En vrac : ne pas se surestimer, mais surtout, peut-être plus dans nos habitudes, ne pas se sous-estimer. L’aptitude à se renouveler, l’équilibre à trouver dans la croissance de deux organisations qui sont en partenariat, ne pas perdre de vue sa mission et ses objectifs, ne pas accepter tous les partenariats qui semblent excitants et merveilleux, ne pas oublier le temps que l’on investit dans de telles entreprises…

L’exemple du Festival Montréal joue en est un d’envergure et de belle réussite !

 

Un petit saut de l’autre côté de l’Atlantique, et Romain Gaillard, conservateur de la Médiathèque de la Canopée, nous raconte la mise en place pas évidente de ce nouvel équipement culturel au cœur de Paris, et comment il a réussi à inverser l’opinion publique. Aller à la rencontre des riverains et des associations mécontentes, les inviter à visiter des bibliothèques, les écouter et surtout, montrer qu’on les a écoutés en mettant en place certaines de leurs recommandations, créer un blogue permettant de suivre le projet de la médiathèque, développer une culture de la participation et de la capacitation, co-construire la programmation (plus que les collections), recueillir les avis et idées de quatre « focus groupes »… Toutes ces approches ont permis de faire de cette nouvelle bibliothèque un lieu inspiré et inspirant.

 

Un peu moins glamour, mais tout aussi utile, Sophie Loiselle, bibliothécaire à BAnQ, nous a présenté l’outil StatBib, qui donne la possibilité d’obtenir tableaux et statistiques suite à l’enquête annuelle des bibliothèques publiques. Ces statistiques permettent bien évidemment de dresser un portrait de chaque bibliothèque, de la comparer à d’autres, mais plus stratégiquement, les statistiques peuvent servir à évaluer, planifier, et surtout convaincre des élus de se lancer dans un grand projet.

 

Une partie de l’après-midi de cette première journée était consacrée à un atelier pratique sur l’approche-design de la recommandation dans les bibliothèques publiques. L’approche-design ou design thinking, qu’est-ce que c’est? C’est se placer, en tant que designer, du point de vue de l’usager, c’est une approche empathique, sans oublier l’importance de l’expérience esthétique. L’approche design est critique, basée sur l’expérimentation, faillibiliste et récursive.

Séparés en deux groupes, observateurs et participants actifs, les bibliothécaires ont planché sur divers scénarios de recommandation de lecture selon un public d’usagers (bibliothécaire, famille, groupe communautaire, adolescent) et le type de recommandation (expert ou amateur, sur place ou hors les murs).

 

La deuxième journée de ce Rendez-vous commençait fort avec une conférence de John Szabo, directeur de la Bibliothèque publique de Los Angeles (LAPL). Ce qui étonne toujours chez nos voisins du Sud, c’est la démesure, mais surtout la confiance qu’ils ont en ce qu’ils font (le titre de City Librarian ne ressemble-t-il pas à celui d’un super-héros?). Ils n’hésitent pas à dire que leurs bibliothèques sont extraordinaires. Et ils ont raison!

John Szabo nous dit qu’une bibliothèque, c’est la possibilité d’avoir un impact sur la vie des gens, c’est une carte de visite, un visage du gouvernement, que les relations publiques et le marketing sont des investissements pour le futur des bibliothèques. Les bibliothèques sont des moteurs de développement.

Elles sont des centres communautaires, mais pas tout à fait. Elles ne sont pas non plus seulement des espaces. Elles doivent être conscientes de leurs ressources, ne pas oublier leur mission. Ainsi, pendant un mois, la LAPL a mis à l’honneur l’Odyssée d’Homère avec des lectures publiques, des activités et même un site dédié à cette initiative! La campagne d’amnistie des frais de retard en février dernier a pris comme titre LAPL Misses You, une façon forte de montrer que si les citoyens sont attachés à leur bibliothèque, la réciproque est aussi vraie. La bibliothèque est humaine avant tout. Et elle a des sentiments.

Si la proximité d’Hollywood inspire à la LAPL des actions qui en mettent plein la vue, elle n’en oublie pas pour autant ses employés. Elle accorde ainsi de mini subventions (500-1000 $) aux membres de son personnel pour concrétiser une de leurs idées. Ainsi est né le biblio-vélo.

Une des grandes forces de la LAPL est son implication dans des problématiques de société telles la citoyenneté, la santé publique, l’itinérance, démontrant l’impact réel qu’une bibliothèque peut avoir sur la vie de sa cité.

 

Nous avons ensuite arrêté de tourner autour du pot et de faire parler des bibliothécaires de marketing, en demandant à Tina Thomas, directrice marketing, communications et financement de la Bibliothèque publique d’Edmonton (EPL) de nous raconter comment elle a modifié l’image de ses bibliothèques. Tina Thomas a parlé de promouvoir les choses (les documents, les activités) et les gens. En une grande campagne d’harmonisation des messages et du mobilier, elle a décidé d’intéresser les gens à ce qui nous intéresse. EPL n’hésite pas à mettre de l’avant ses usagers, à les prendre en photo, à montrer qu’ils sont le cœur de la bibliothèque. Tina Thomas insiste aussi sur l’importance de la mise en valeur des collections, après celle des usagers. Il faut rendre nos rayonnages, nos expositions faciles d’accès et de choix, montrer les documents. Et si l’on a un petit budget, utilisons ce que nous avons déjà pour faire notre promotion : les cartes et sacs de bibliothèque, le mobilier de la bibliothèque, ses portes, le mobilier urbain. Montrer la présence de la bibliothèque partout dans la cité!

 

Cette présence doit aussi être visible en ligne et c’est ce que Jean-Philippe Titley nous a démontré en nous parlant encore une fois de l’importance de la communauté et de la façon de s’adresser à elle via une page Facebook de bibliothèque. Nous avons compris que nous avons sans doute un peu trop tendance à nous attacher à notre identité institutionnelle. Or Facebook est le royaume de la mise en scène de la personnalité (tiens, nous retrouvons ici l’idée de marque…). Nous devons nous créer une identité personnelle, raconter des histoires, interpeller nos visiteurs virtuels par des questions. Quelques règles à respecter : utiliser les outils de Facebook (créer un évènement par exemple), mettre des images (pas forcément de chatons), répondre rapidement à tout commentaire ou question et publier trois fois par jour (un minimum).

On peut prendre exemple sur la New York Public Library ou, en plus modeste et déjantée, sur la bibliothèque Louise Michel à Paris!

 

L’après-midi de cette deuxième journée a commencé avec une formidable leçon d’advocacy de la part de Stephen Abram, directeur général de la Federation of Ontario Public Libraries. À grand renfort de chiffres, impressionnants et d’une certaine façon, très visuels, Stephen Abram nous rappelle qu’il faut laisser parler nos usagers, qu’ils sont nos meilleurs défenseurs et que pour cela, ils doivent savoir ce qu’on fait. Il faut renverser la perception que les bibliothèques ne sont pas douées ou pas faites pour travailler avec les entreprises, avec les villes. Il faut se faire connaître!

 

C’est également de chiffres que nous parle Elizabeth Glass, directrice de la planification, des politiques et de la gestion de la performance de la Bibliothèque publique de Toronto. Cette dernière a réussi à démontrer l’impact économique des bibliothèques sur la ville de Toronto. À ce qu’elles coûtent à la cité, elle a réussi à opposer ce qu’elles rapportent. Les bibliothèques coûtent de l’argent, mais elles en valent beaucoup plus.

 

Rachel Laperrière, directrice de l’arrondissement de Montréal-Nord, ne pouvait qu’approuver les propos de Stephen Abram. Pour elle, la bibliothèque est une solution, il faut la positionner comme une base du développement des connaissances et de la vie culturelle des citoyens. Et c’est un positionnement qui est avant tout politique car il faut convaincre les élus de changer les choses en les faisant travailler main dans la main avec les bibliothécaires.

 

Collaborer nous disait Rachel Laperrière. Comment? Malorie Flon, conseillère  de l’Institut du Nouveau Monde, nous donne quelques outils. Mais tout d’abord, pourquoi collaborer? Parce que nous vivons dans une société de plus en plus diversifiée et que nous faisons face à des problèmes de plus en plus complexes. Nous pouvons imaginer des collaborations avec tous ceux qui nous entourent, collègues, élus, citoyens. Une bonne collaboration suit des étapes, utilise des outils précis et évite certains pièges. On y retrouve les notions d’impact collectif, de projet pilote, d’itération, de droit à l’erreur et une démarche en U. Cela ne vous rappelle-t-il pas quelque chose?

 

À la suite de la présentation théorique de Malorie Flon, nous avons découvert quatre types de projets collaboratifs qui ont vu le jour dans les bibliothèques du Québec.

REPONSEATOUT.CA est un système de référence virtuelle collaborative qui implique plusieurs bibliothèques québécoises. L’idée est née en 2000 et a tranquillement évolué pour passer des questions posées par clavadarge au formulaire en ligne. Inspirée du projet franco-belge eurêkoi.org, ce sont aujourd’hui seize techniciennes en documentation qui répondent à une à douze questions par jour en quelques minutes ou une journée.

Benoit Rochon, vice-président de Wikimédia Canada, a soutenu l’importance pour les bibliothèques de s’impliquer dans les projets de Wikimédia, notamment GLAM. La BAnQ offre des ateliers intitulés Mardi, c’est Wiki! une fois par mois. Le projet Wikisource permet de mettre en valeur le patrimoine littéraire québécois via la collection de BAnQ. On parle ici de diffusion et de création des savoirs, des domaines où les bibliothèques publiques ont toute leur place.

C’est dans le réseau des Ruches d’art que Rachel Chainey, coordonnatrice, nous a entraîné. Ces ateliers d’art communautaires libres, gratuits et ouverts à tous sont des espaces de partage et d’expérimentation. Nous sommes proches de l’idée de la bibliothèque tiers-lieu, inclusive et porteuse de créativité. Alors à quand une ruche d’art dans une bibliothèque ou un réseau bibliothèques-ruches d’art?

Le Rendez-vous des bibliothèques publiques s’est terminé avec la présentation d’un projet de création de microbibliothèque avec les citoyens, par Cécile Lointier, chef de section à la bibliothèque Père-Ambroise. Un projet entièrement documenté, rassembleur, une ouverture aux initiatives citoyennes, qui a permis d’aller chercher d’autres clientèles et de développer des liens avec des partenaires, à l’interne comme à l’externe. Une carte OpenStreetMap recensant toutes les microbibliothèques de Montréal est également lancée.

Collaboration, participation, ouverture sur le monde et le libre, partenariats, ce projet d’une petite bibliothèque reflète bien les désirs et les forces des bibliothèques publiques dans la société actuelle.

 

Vous retrouverez les présentations des conférenciers sur le site du Rendez-vous des bibliothèques publiques du Québec, juste ici.

Mot(s)-clé(s) associé(s) à cet article :