Cela fait des années que les bibliothèques publiques entendent parler de troisième ou tiers lieu, l’expression du sociologue Ray Oldenburg qui définit l’endroit où l’on se retrouve après la maison et le travail. Le troisième lieu c’est celui du dehors (ou d’un intérieur externe aux deux premiers), celui de la rencontre, de l’échange et de la socialisation donc, mais aussi des découvertes et des apprentissages informels. Les bibliothèques n’ont jamais été nommées dans la liste que propose Oldenburg. Pourtant elles se sont rapidement et avec raison, senties interpellées par ce concept.
Ainsi, depuis des années, la bibliothèque publique est à la recherche des éléments qui vont en faire le troisième lieu préféré des citoyen-ne-s. En se concentrant sur ses espaces, ses services (parfois hors les murs il est vrai), ses usager-è-s et tout ce qui se passe à l’intérieur de ses murs, la bibliothèque publique a un peu oublié de s’intéresser à ce qui se passe à l’extérieur. Elle a certes, la plupart du temps, pris soin de son environnement extérieur immédiat, mais rarement s’est-elle éloignée de ses murs pour s’observer dans un contexte plus élargi.
Dans le cadre des projets de nouvelles bibliothèques, le tissu urbain dans lequel elles s’implantent est analysé, mais cette analyse vient surtout en appui au choix du lieu, évoquant forces et contraintes. Les relations avec d’autres institutions culturelles ou équipements municipaux sont évoquées, les accès pour y parvenir aussi, les transports en commun, la sécurité des piétons. Il peut être proposé d’élargir le trottoir, d’ajouter un arrêt de bus ou des supports pour vélos. Il peut être mentionné de renforcer des liens entre différents lieux, avec les parcs par exemple, en améliorant la qualité du trajet des piétons et des cyclistes. Ce sont là les voies officielles pour parvenir à la bibliothèque, celles qui ont été tracées et sont entretenues par le service d’urbanisme.
Sonia Lavadinho, anthropologue et géographe urbaine, ne parle pas plus des bibliothèques que Ray Oldenburg, mais elle a élaboré un concept intitulé la deuxième peau des parcs qui s’applique parfaitement aux bibliothèques publiques des villes.
On peut regarder cette vidéo en remplaçant le mot parc par bibliothèque toutes les fois où il est prononcé
La deuxième peau des bibliothèques, c’est ce qui se passe autour d’elles, ce qui mène à elles. Comme les parcs, les bibliothèques sont des endroits qui nous rendent heureux, des lieux différents. Le contact avec les livres et la beauté d’une simple étagère les présentant ont encore ce pouvoir apaisant. La bibliothèque, tout comme le parc, est un refuge dans la ville.
Mais comment est-ce à l’extérieur de la bibliothèque? Est-ce que c’est agréable? Est-ce qu’il s’y passe quelque chose? Qui donne envie de s’arrêter, et peut-être d’entrer dedans.
Comme Sonia Lavadinho le décrit, c’est en créant une épaisseur autour de la bibliothèque que l’on peut induire ces comportements. Il faut que “l’autour” de la bibliothèque, sa première membrane, soit aussi accueillante, invitante, que son intérieur. Il faut que cette membrane devienne habitable.
L’idée du trajet est également très importante dans la deuxième peau. C’est principalement au non utilisateurs-trices que pense l’anthropologue. Ce trajet qui n’est a priori pas à destination du parc ou de la bibliothèque, c’est lui qu’il faut modifier, renforcer. Comment? Sonia Lavadinho propose trois façons de le faire :
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Offrir la possibilité et le désir de micro séjours, de pauses. Il faut alors imaginer des aménagements, un mobilier urbain qui donne envie de s’arrêter.
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En renforçant la latéralisation, les opportunités de faire des pas de côté, dit Sonia Lavadinho, invitant la danse dans son concept. Ces pas de côté, ce sont les imprévus, les arrêts qu’on ne pensait pas faire. Ils se concrétisent encore une fois par du mobilier urbain invitant, mais peut-être aussi par une réappropriation de l’espace public, de la rue, du parvis d’une bibliothèque.
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En renforçant les cordons de sociabilité, les opportunités d’interagir avec d’autres personnes. Il s’agit là d’offrir des lieux provoquant les rencontres naturelles, tout comme dans un parc les parents se retrouvent à discuter entre eux de façon naturelle près des modules de jeux pour enfants.
Finalement cette deuxième peau amène l’idée de constellation, dans laquelle on retrouve les concepts de groupe ou d’ensemble. La bibliothèque ne fonctionne pas de façon autonome, elle est intégrée à un groupe, un ensemble urbain. Sa deuxième peau lui permet de dialoguer avec son environnement et surtout avec celles et ceux qui la traversent et s’y arrêtent.
Tout cela, épaisseur, trajet, latéralisation, constellation, enrichit l’expérience de celles et ceux qui fréquentent la bibliothèque, qui l’utilisent, mais surtout de celles et ceux qui ne l’utilisent pas ou qui n’avaient pas l’intention de la fréquenter, celles et ceux dont on espère que le pas de côté les conduira à l’intérieur.