En primeur, nous vous proposons le prochain « coup de gueule » à paraître dans la revue Argus.
Nos gouvernements ont trouvé un fabuleux moyen pour nous sortir de la crise. Ils nous donnent plus d’argent pour augmenter notre pouvoir d’achat. Wow ! Quelle bonne idée. Depuis des années, la plupart des courants de pensée nous amènent à remettre en question cette société de surconsommation. Et en réponse à une crise économique, tout ce que l’on trouve comme solution, c’est de nous dire que ce n’est pas bien d’avoir deux autos dans le « driveway », mais non, il en faut trois ! Quatre ? C’est encore mieux. Une télé dans la maison ? Non mais, vous n’avez pas honte ? Il en faut une dans chaque pièce. Le garage, vous y avez pensé ? Allez les enfants, vous n’avez pas assez de jouets, achetez-en encore plus.
Depuis 50 ans, les pétrolières et les marchands de bagnoles font la loi en cowboy. Ils font des guerres. Ils tuent la planète. Et ils en mettent plein les poches à quelques bienheureux logés au sommet d’une tour. Une tour située dans un pays imaginaire bien à l’abri des besoins de la grande majorité de la population mondiale. Autour de cette tour, nos bonzes de l’économie ont installé des banques, des multinationales et marketé un système de valeurs bonbon pour faire tenir le tout. Maintenant que le château de cartes s’écroule, tout s’écroule. Qui va payer ?
Nous, bien entendu.
En réponse à la crise, nos gouvernements investissent dans des entreprises en perdition dirigées par les mêmes organisations qui ont mené le monde à sa perte. Une autre bonne idée !
Des milliards seront investis dans des secteurs économiques en phase terminale. « On ne sait pas si ces investissements seront suffisants pour rétablir notre économie », disent les économistes. Je vais vous le dire moi, inculte que je suis, et des centaines de millions de personnes vous le diront : « non, ce ne sera pas suffisant ! » Sur une planète qui se meurt, devant tous les défis qui se présentent à l’humanité comme jamais dans son histoire, qui peut croire que d’investir dans les industries de l’automobile et forestière va sauver l’économie ?
Bon. On dira que sans ces investissements, des milliers de personnes perdront leur emploi et que la crise sociale qui en résultera sera bien pire. Pire que quoi ? De toute manière, ces personnes perdront leur emploi. Il ne faut pas être disciple de Nostradamus pour prédire la fin des industries automobile et forestière telles que nous les connaissons. À plus ou moins court terme, ces gens se retrouveront à la rue. Qu’auront-ils de plus pour affronter la crise personnelle qu’ils vivront alors ? Rien, rien de rien… Sinon, une télé, une auto et une console de jeux.
Dites-moi, plutôt que de s’acharner à maintenir en vie l’économie d’une autre époque qui a fait son temps et qui est suffisamment vieille pour ne plus se rappeler comment elle s’appelle pourquoi ne tenterions-nous pas d’aller ailleurs, de tenter l’aventure de nouvelles avenues plus prometteuses, plus adaptées et certainement plus responsables ?
Au Canada, au Québec comme dans plusieurs pays d’Europe et d’Occident, la matière première de la prospérité est grise et elle se trouve dans la tête de chacun de ses habitants. Malgré la crise, il demeure que les métropoles performantes de l’avenir seront habitées par des citoyens qui possèdent les apprentissages essentiels pour s’intégrer, participer et s’émanciper dans leur milieu de vie. Et ces apprentissages passent d’abord et avant tout par les capacités de lecture de chacun.
Depuis plusieurs décennies, les études prouvent que les niveaux de littératie sont insuffisants. Un Québécois sur deux n’atteint pas le niveau requis pour fonctionner adéquatement. La lecture est non seulement une source de plaisir et de divertissement, c’est aussi un moyen essentiel de contribuer à l’amélioration des conditions de vie des citoyens. Savoir lire, savoir écrire, c’est avoir la possibilité de s’intégrer à la communauté, de participer à la vie civique, d’inclure dans son quotidien la préoccupation d’un bien-être collectif. Une population éduquée et culturellement avancée aurait de bien meilleures chances de faire face aux défis de demain. Non seulement, elle serait mieux adaptée pour se défendre contre l’exclusion sociale, elle serait mieux positionnée pour répondre aux pressions économiques individuelle et collective.
La prospérité économique ne pourra plus, comme autrefois, être le fait de quelques-uns. Elle s’enracinera dans des sociétés composées d’individus éduqués et impliqués. Le sort de notre voisin sera aussi le nôtre. Notre prospérité passera par sa prospérité. Plus il y aura de lieux accessibles à tous pour apprendre, s’éduquer, grandir, et plus nous serons riches. Individuellement. Ensemble.
Alors ? Alors, si les gouvernements veulent laisser autre chose qu’un gros tas de cochonneries dans nos cours arrière, mieux vaudrait investir dans l’éducation et la culture. C’est dans ces domaines que nos sociétés construiront leur prochaine économie. Investir dans les bibliothèques, les musées, les universités, les écoles, les entreprises créatives et les infrastructures de culture et de savoir, c’est investir dans notre seule véritable ressource renouvelable, celle qui a fait de nous les héros de cette planète : notre intelligence individuelle et collective. Et c’est notre meilleure, peut-être notre seule, notre dernière garantie de survie et de prospérité.
Denis Vézina est historien, communicateur, écrivain jeunesse et adjoint à la directrice-associée des bibliothèques de la Ville de Montréal.